Condamné pour braconnage, le patron de l'un des 2 derniers chalutiers de Marseille interdit de pêche

Le braconnier agissait au coeur du Parc des calanques.

Le braconnier agissait au coeur du Parc des calanques.

illustration LP

Marseille

Déjà condamné à neuf reprises depuis 2005 pour pêche illégale, le patron-pêcheur était accusé d'avoir braconné des daurades royales en période de reproduction au coeur du Parc national des calanques.

Chaque année à la même époque, le phénomène naturel est observé avec un oeil attendri par les amoureux de la nature. Entre octobre et décembre, des bancs des daurades royales quittent en rangs serrés les étangs salins et migrent vers la mer Méditerranée, plus chaude et plus profonde, où elles peuvent aisément se reproduire.

C'est dans ce couloir côtier que se produit un autre phénomène annuel, moins emballant : des chalutiers opportunistes, à l'affût de ce mouvement massif de reproducteurs, se postent dans la zone protégée et ramassent en un minimum de temps un maximum de daurades - à la haute valeur commerciale grâce à la qualité de sa chair. "Mon grand-père le faisait, mon père le faisait. Ça met du beurre dans les épinards", assume devant le tribunal correctionnel Louis Di Trento, patron-pêcheur de 54 ans, en activité depuis 1984 sur un bateau qui porte son nom.

Sauf que, d'une part, rappelle le Parc des calanques, "la technique de pêche au chalut est réputée destructrice pour les fonds marins et non sélective". D'autre part, "elle est strictement encadrée", avec interdiction formelle d'utiliser des filets remorqués dans la bande des 3 milles nautiques.

Louis Di Trento est bien placé pour le savoir : ce multirécidiviste a déjà été condamné à neuf reprises pour pêche illégale. "On a fait des recours contre cette loi qui nous contraint. Tout ça, c'est de la politique". Cheveux blancs plaqués en arrière et accent prononcé, ce patron "à la retraite dans six mois", se fend d'une image à double tranchant : "Tous les métiers de la pêche font un braquage et nous, on ne peut pas y participer". Eux ? Les deux derniers chalutiers marseillais en activité... et qui sont tous les deux renvoyés devant justice ce vendredi pour les mêmes faits (l'autre procès a finalement été renvoyé au 13 septembre).

Retour en arrière. Le 30 novembre dernier, vers 5 h 30, les gendarmes maritimes avaient de nouveau pris en flagrant délit Louis Di Trento en action entre les îles du Planier et le Frioul. À bord, 150 kilos de poissons dont la moitié de dorades royales. "Je ne me suis pas caché. Je me pensais dans mon bon droit", maintient le prévenu. Pour se justifier, il a produit un document émanant de la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM). Il s'agit d'un avis favorable à une dérogation de pêche dans cette espace de non-prélèvement, demandée en son nom par la prud'homie. L'occasion pour son défenseur, Me Ceccaldi, d'évoquer "la bonne foi et l'erreur de droit" pour demander une relaxe. "C'était un simple avis, pas une autorisation. La Direction Interrégionale de la Mer Méditerranée n'a pas donné suite. Professionnel depuis 1984, monsieur Di Trento le savait très bien", objecte l'accusation. Il n'empêche : cet avis d'un service de l'État contraire à la législation illustre les atermoiements de l'administration, partagée entre enjeux écologiques et défense de l'économie du secteur.

Appelé comme témoin, l'administrateur de la DDTM tangue en confirmant, d'un côté, qu'il ne s'agissait que d'un avis "consultatif". Tout en disant comprendre les motivations de ces chalutiers "pris à la gorge". "Certains ne comprennent pas qu'il y ait une telle ressource qui ne leur soit pas accessible. Ils vivent dans le passé avec des pratiques d'une autre époque où les questions environnementales étaient moins prégnantes", justifie-t-il. Des propos qui font bondir Me Vergnoux, pour France nature environnement, "effarée" de la "connivence de la DDTM" avec des pêcheurs que le procureur, Michel Sastre, tient à "appeler par leur nom : des braconniers". "S'il n'y a plus que deux chalutiers à Marseille, c'est parce que la ressource a diminué à cause de ce genre de comportements, appuie Me Vergnoux. On nous parle de travailleurs en difficulté alors qu'il déclare 4 500 euros de revenus par mois. Le parquet est le dernier rempart. Il doit frapper plus fort", implore l'avocate.

"On est sur des coups de filets à 2, 3, 4, 7 000 €. Ce n'est pas du beurre dans les épinards, c'est du caviar !, acquiesce Michel Sastre. Le braconnier se dit : je risque une condamnation par an, on va me tirer l'oreille. Le rapport coût/avantage lui est favorable donc il retourne se servir dans le vivier du Parc des calanques dans lequel l'État investit des millions d'euros au plus grand bonheur des pêcheurs honnêtes, qui, eux, ont conscience de ce qu'est la régulation", enfonce le ministère public. Et de réclamer 40 000 euros d'amende et une interdiction d'exercer pendant trois ans. "La dernière marche avant la confiscation du bateau", prévient-il.

Le tribunal suit dans les grandes lignes : le chalutier se voit retirer son autorisation de pêche pendant 1 an et condamner à 5 000 euros. Il devra également verser plus de 20 700 €; aux associations de défense de l'environnement dont une moitié au Parc national en réparation du préjudice écologique.